chronique janvier 2002- daniel ichbiah

Mon site Web vous salue bien

 

"Consultez notre site Web !"…

Cette phrase serait-elle en train de devenir un leitmotiv, une réponse passe-partout, un échappatoire de rêve ? C'est fort possible. En tout cas, je constate une escalade dans l'utilisation de cette répartie, et dans la plupart des cas, elle a une curieuse connotation. Celui qui emploie cet argument sous-entend qu'il n'a pas de temps à perdre en vaines explications. Tout est déjà là sur le site, et vous n'avez plus qu'à vous y rendre sans attendre.

En ce qui me concerne, le premier contact avec cette nouvelle forme de "relationnel accéléré" a eu lieu vers le milieu de l'an 2000. J'avais eu au téléphone une attachée de presse de la société Sega afin de lui demander d'envoyer des images de jeux sur un CD-ROM. La réponse fut sèche et sans appel. Dorénavant, toutes les images en question étaient présentes sur un site Web réservé aux journalistes et il n'y avait qu'à télécharger celles que l'on désirait. Après tout, pourquoi pas ? On pouvait comprendre qu'elle cherche à rendre son travail plus efficace. Ce qui était gênant, c'est que du jour au lendemain, il n'y avait plus d'alternative offerte.

Dans les mois qui ont précédé, d'autres éditeurs ont adopté des formes de "communication" similaire. En clair, il suffit d'aller sur un Web pour voir les nouveautés, télécharger des visuels, des vidéos, des démos, etc. Certes, cela peut représenter un gain de temps appréciable dans certains contextes. Mais lorsqu'un tel système se généralise, il aboutit à une curieuse dérive : dans un métier (les médias) où le relationnel occupe une place primordiale, un système automatisé semble vouloir se substituer à l'ancienne forme, plus lourde, mais aussi plus vivante.

Je pourrais citer d'autres exemples du même type, mais celui qui m'a le plus étonné est le suivant. Je sortais d'une boutique sans doute trop traditionnelle, dans laquelle j'avais pu emporter un superbe catalogue papier de 110 pages commentant l'essentiel des livres proposés. Je suis entré dans une autre et, en pleine candeur, ai demandé s'ils avaient un catalogue. La réponse est tombée, rapide et tranchée : "non, mais nous avons un site Web dont voici l'adresse. Tous nos produits sont présentés sur ce site."

Certes, il pourrait paraître salutaire de voir que des sociétés contribuent à l'économie du précieux papier et les arbres qui servent à le produire. Pourtant, c'est l'attitude induite par l'argumentaire du site Web qui paraît gênante. Nous pourrions la résumer ainsi : ""puisque nous avons pris le temps de créer ces pages sur Internet, nous n'avons pas besoin d'en faire plus." Le service s'arrête là. L'impression que l'on en retire est celle qu'il n'y a personne à l'autre bout. Personne qui soit disponible pour prendre le temps de discuter, d'argumenter, d'apporter un avis.

Mais où avons-nous déjà ressenti cela ? Mais oui, bien sûr, dans une autre expérience déplaisante, celle des attentes téléphoniques…

Comme il est pénible, dans de nombreuses sociétés, de ne jamais pouvoir tomber sur un être humain au bout du fil, tant il faut se faufiler dans un dédale de messages. Vous connaissez tous ces parcours épiques : "Si vous êtes un particulier, tapez 1, un revendeur, tapez 2, un fournisseur, tapez 3…". Vous tapez sur une touche et cela continue : "si vous appelez pour une assistance technique, tapez 1, si vous désirez être mis en relation avec le service commercial, tapez 2", et ainsi de suite. Au bout du compte, nous apprenons que de toute façon, aucun correspondant n'est disponible sur le service désiré. C'est crispant, et pourtant, ce système automatisé se généralise - France Telecom est le premier à en abuser !

Une trop grande dépendance envers l'informatique pour robotiser les relations humaines aboutit à cette situation digne d'un mauvais film futuriste. Elle a déjà pris une trop grande ampleur dans les systèmes de réponse téléphonique. Il serait souhaitable qu'elle ne s'étende pas trop rapidement au Web faute de quoi, certains services deviendront bien ternes. Un peu comme si ces curieux magasins new-look dépourvus de présence humaine - un bras robotisé sert les articles désirés - prenaient progressivement la place des épiceries de quartier.