Chronique Daniel Ichbiah mai 2003

Le parcours du combattant de l'usager du train

 

Imaginons la situation suivante. Vous désirez prendre le train le mois prochain, mais avec une latitude assez grande. Comme votre emploi du temps est assez relâché, vous pouvez partir aussi bien le dimanche soir que le lundi matin, et choisir un horaire sans contrainte particulière.

La première solution qui vous vient à l'esprit est de consulter les dépliants proposés par la SNCF. Hélas, il faut une certaine pratique pour distinguer les trains ne circulant "que le 3 mai et le 14 juin", de ceux qui roulent "jusqu'au 7 juin le samedi, sauf le 3 mai", ou encore ceux qui circulent uniquement les "lun, mar, mer et jeu". Tous ces exemples, authenthiques, sont issus de l'itinéraire Paris Laon, lequel comporte pas moins de 17 cas particuliers dans un sens, et 22 dans l'autre !

Pour corser le problème, posons qu'il faille effectuer un changement de ligne, ce qui supposerait de jongler avec deux livrets de ce type. Découragé par une telle perspective, vous décidez d'être moderne et d'aller solliciter l'aide de sa Majesté l'informatique. En d'autres termes, vous allez consulter le site sncf.com, indiquer la gare de départ et la gare d'arrivée, les journées désirées, afficher les horaires, imprimer le tout… Après tout, n'est pas à cela que servent les ordinateurs ?

Dans le meilleur des mondes, il est probable que cela se passerait comme cela. Mais en attendant, il faut faire avec l'existant et alors, là, grosse surprise, c'est une "agence de voyages" qui prend nos désirs en main !

À peine débarqué sur ces terres où l'on soigne le vacancier, une fenêtre "pop-up" intervient pour inviter aux plaisirs du ski. Sur la page elle-même : des bons plans en matière d'hôtels, de séjour à la Martinique, des week-ends à Amsterdam avec, tenez-vous bien, un… aller et retour en avion ! D'ailleurs, sur la page d'accueil, notre compagnie nationale des transports ferroviaires (avec aux dernières nouvelles, une mission de service public) ne manque pas d'asséner ses promotions de vols vers New York, Montréal, Madrid… Mieux encore, pour accomplir cette nouvelle mission, la Sncf s'est acocquinée avec Microsoft soi-même qui loue ici les services de son système de voyage Expedia.

Tout cela est bien beau, mais qu'en est-il pour le simple quidam qui est venu sur place parce que, excusez-nous, mais nous voudrions juste prendre le train et connaître les horaires de départ d'une ville à une autre. Et bien comme la logique du site suppose que nous miroitions abondemment les fenêtres de publicités, nous avons droit à une savoureuse restriction : impossible de consulter un horaire au-delà d'une tranche de 4 heures. Si l'on veut donc connaître les trains disponibles entre dimanche soir et lundi matin, il faudra peut-être y revenir 3 ou 4 fois. Et à une ère où les processeurs et disques durs affichent des vitesses surmultipliées, cette simple consultation d'une base de données dure un certain nombre de secondes, le temps nécessaire pour faire réapparaître deux publicités à chaque fois ! Si l'on clique sur "modifier les souhaits" afin de changer la tranche horaire à consulter, nouvelle surprise, sur le nouvel écran, les gares de départ et arrivée ont disparu. Le hic, c'est qu'il n'existe aucun autre moyen de consulter ces fameux horaires de train.

Pourquoi pas, dirons certains, toute source de revenus est bonne à prendre. Seulement voilà... Il faut dans toute démarche qu'il y ait une logique. Le privé comme le public ont leur raison d'être et chacun devrait s'en tenir à sa vocation propre. Ainsi, les chaînes télévisées publiques pour lesquelles nous payons une redevance devraient idéalement s'acquitter de leur mission à la lettre en négligeant totalement l'audimat, évitant donc toute émission à caractère raccoleur. Et une entreprise dont la vocation est de transporter tous les français par la voie des rails gagnerait à informer ceux-ci le plus efficacement possible sur sa mission fondamentale.